11 juillet 2021

"Tintin au pays de l'or noir" : le titre vous transporte en Arabie saoudite

 A l'heure actuelle, on associe tout naturellement l'Arabie saoudite au pétrole. Pourtant c'était loin d'être une évidence quand Hergé commence son album en 1939. L'extraction pétrolière n'avait commencé qu'un an auparavant, le 1er oléoduc venait d'entrer en service et l'impact de "l'or noir" saoudien était encore modeste. Le scénario est donc prémonitoire. D'un album beaucoup plus politique dans sa 1ère version qui abordait le sujet du conflit israelo-arabe, l'histoire se réduit à une simple rivalité commerciale entre 2  compagnies pétrolières fictives. Il s'agit, comme le dit Tintin d'un épisode de la guerre du pétrole, en Arabie Khémédite où règne l'émir Ben Kalish Ezab, un prince digne des émirs du golfe persique et des dynasties d'Arabie saoudite, en conflit avec un chef de guerre du désert, le sheik Bab et Ehr.


dans l'édition de 1971, Hergé a demandé à un étudiant en langues orientales la traduction exacte de "or noir" en arabe, alors que dans la version précédente, les signes étaient purement fantaisistes


Dans Tintin au pays de l'or noir, une fois n'est pas coutume, les européens sont les méchants et les arabes les victimes. Le Dr Müller (contraction des noms de Mussolini et Hitler) cherche à supplanter les britanniques auprès de l'émir pour exploiter le pétrole khémédite. Müller kidnappe Abdallah, le fils adoré de l'émir, pour exercer sur celui-ci un chantage afin de lui extorquer la concession pétrolière (cet épisode n'est pas sans rappeler l'accord pétrolier signé en 1933 par le roi Abdelaziz Ibn Séoud avec la compagnie américaine Standard Oil of California).

Le Cheikh Bab El Ehr - l'émir Ben Kalish Ezab - son fils Abdallah

On découvre des personnages typiques comme le cheikh Bab El Ehr pour lequel Hergé a pris comme modèle pour le dessiner le roi Faycal II d'Irak. Pour l'émir Ben Kalish Ezab, c'est du fondateur d'Arabie saoudite, ibn Séoud, dont Hergé s'est inspiré; quant à son fils, ironiquement, c'est le jeune Faycal II d'Irak qui lui a prêté ses traits.






remarquez les beaux yeux de la femme au 1er plan ainsi que la tenue de Tintin inspirée des bédouins

dans ces vignettes, on peut voir le policier qui porte le guthra: ce foulard à carreaux rouge et blanc typique de l'Arabie saoudite


Dans l'album "Objectif lune", les Dupond reviennent sur leur passage en Arabie

Mais l'aventure avec l'Arabie ne s'arrête pas là... la suite dans "Coke en stock"

Une fois de plus je remercie les auteurs du blog tintinomania ainsi que Louis Blin pour son livre "le mon de arabe dans les albums de Tintin".

5 juillet 2021

Les cigares du pharaon: Tintin arrive en Arabie

Quelle représentation de l'Arabie dans Tintin?

L'exotisme est une composante de base de Tintin mais faire voyager Tintin en Arabie a permis à Hergé de dépasser le stade de la seule aventure exotique des 3 premiers albums de Tintin pour y introduire le mystère et le fantastique qui sont 2 caractéristiques des pays d'orient.

Dans les Cigares du Pharaon, on va trouver une succession de clichés révélateurs de la représentation qu'avaient de l'orient les européens de la génération d'Hergé.

Paru en 1934, l'album "Les Cigares du Pharaon" devait initialement s'appeler "Les Aventures de Tintin, reporter en Orient". En tant que concept, l'orient imaginaire constitue l'antithèse de l'occident et n'a pas de limites précises. Tintin atteindra la Chine dans le Lotus Bleu, après un périple imprévu en Egypte, en Arabie et en Inde, ce que relate cette aventure des Cigares du Pharaon. Un tel voyage parait aujourd'hui banal mais tenait de l'expédition à l'époque où Tintin l'entreprend. Hergé embarque ses lecteurs de l'époque, dont la plupart n'ont pas quitté leur région d'origine, dans un voyage exotique: la fonction de la BD est bien de faire rêver.

Le titre et la couverture de l'album installent l'intrigue en Egypte pourtant sur les 124 pages de l'édition originale, ce pays n'en occupe pourtant que 8, contre 36 se déroulant en Arabie et 66 en Inde. Il débarque à Port Saïd, à l'embouchure du Canal de Suez, qui représente la porte de l'Orient dans l'imaginaire européen de l'époque, puis Tintin franchit la Mer Rouge pour aborder le rivage saoudien. Il débarque dans une crique et s'aventure dans des montagnes "pittoresques" (A1 p15) alors que la côte arabique de la mer rouge est plate. 


Il poursuit sa route dans un désert de dunes et arrive enfin dans une ville. L'apparition soudaine d'une cité au sortir du désert provoque un effet de merveilleux typique de la vision orientaliste. Le minaret et l'enceinte de la ville font penser à quelque cité impériale marocaine et pourtant dans la version en noir et blanc de 1934, c'est bien dans la Mecque que Tintin pénètre: il serait donc un des premiers européens à entrer dans cette ville! Pourtant dans l'édition couleur, il n'est plus fait mention du nom de la ville.



En raison de la difficulté d'obtenir des photos à l'époque, il y a bien quelques "erreurs" à relever,  notamment au niveau de la topographie. En effet, Hergé dessine la Mecque comme une ville fortifiée or cette ville est dépourvue d'enceinte du fait de sa situation enchâssée dans des collines qui font fonction de murailles naturelles. Autre erreur, Tintin court ensuite jusqu'à un avion parqué aux portes de la ville pour s'enfuir à son bord, alors que la même caractéristique géographique rend impossible tout atterrissage ou décollage (la Mecque est aujourd'hui encore desservie par l'aéroport international Addulaziz à Jeddah distant de 90 kms). Enfin, le centre de la Mecque est totalement plat; les rues de la ville ne présentent pas d'escalier comme la casbah d'Alger, dont Hergé a dû s'inspirer.


Et l'Arabie saoudite?

Hergé était belge mais l'Arabie saoudite n'était pas totalement étranger aux français à l'époque de sa composition. Après l'aventure aujourd'hui oubliée de la mission militaire française au Hedjaz (province de la Mecque), la France entretint des relations avec le royaume du Hedjaz, puis son successeur d'Arabie saoudite; elles furent marquées par la signature en novembre 1931 d'un traité d'amitié fanco-saoudien puis par les visites en France de 2 des fils du roi Abdelaziz ibn Séoud, l'émir Faysal en 1932 et l'émir Séoud en 1935.

En ce qui concerne les habitants, n'apparaissent ni le mot saoudien, ni même arabes, seulement l'appellation "nobles hommes du désert" (vignette C1 p14 et vignette C2 p15) et "bédouins" (vignette A3 p24) qui résument bien la perception du pays par Hergé.

L'Arabie saoudite où va Tintin n'était pas encore productrice de pétrole (le pétrole ne sera découvert qu'en 1938). On découvre l'Arabie d'avant le pétrole. Pourtant Hergé est précurseur de l'utilisation de l'expression "le pays de l'or noir", titre de l' album dont nous parlerons dans le prochain article.


Je rappelle que je me suis fortement inspirée des écrits de Louis Blin dans son livre "Le monde arabe dans les albums de Tintin" et du très documenté et très intéressant blog tintinomania.com.